ARAGON - PREVERT : LE HOULME

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publie 26 février 2006

Les misérables (Victor HUGO)

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Victor HUGO en 1883

Gavroche, un enfant des rues, cherche par tous les moyens possibles à se nourrir...

Un soir le petit Gavroche n’avait point mangé ; il se souvint qu’il n’avait pas non plus dîné la veille ; cela devenait fatigant. Il prit la résolution d’essayer de souper. Il s’en alla rôder au delà de la Salpêtrière, dans les lieux déserts ; c’est là que sont les aubaines ; où il n’y a personne, on trouve quelque chose. Il parvint jusqu’à une peuplade qui lui parut être le village d’Austerlitz. Dans une de ses précédentes flâneries, il avait remarqué là un vieux jardin hanté d’un vieux homme et d’une vieille femme, et dans ce jardin un pommier passable. A côté de ce pommier, il y avait une espèce de fruitier mal clos où l’on pouvait conquérir une pomme. Une pomme, c’est un souper ; une pomme, c’est la vie. Ce qui a perdu Adam pouvait sauver Gavroche. Le jardin côtoyait une ruelle solitaire non pavée et bordée de broussailles en attendant les maisons ; une haie l’en séparait.

Gavroche se dirigea vers le jardin ; il retrouva la ruelle, il reconnut le pommier, il constata le fruitier, il examina la haie ; une haie, c’est une enjambée. Le jour déclinait, pas un chat dans la ruelle, l’heure était bonne. Gavroche ébaucha l’escalade, puis s’arrêta tout à coup. On parlait dans le jardin. Gavroche regarda par une des claires-voies de la haie.

A deux pas de lui, au pied de la haie et de l’autre côté, précisément au point où l’eût fait déboucher la trouée qu’il méditait, il y avait une pierre couchée qui faisait une espèce de banc, et sur ce banc était assis le vieux homme du jardin, ayant devant lui la vieille femme debout. La vieille bougonnait. Gavroche, peu discret, écouta.

  • Monsieur Mabeuf ! disait la vieille.
  • Mabeuf ! pensa Gavroche, ce nom est farce. Le vieillard interpellé ne bougeait point. La vieille répéta :
  • Monsieur Mabeuf ! Le vieillard, sans quitter la terre des yeux, se décida à répondre :
  • Quoi, mère Plutarque ?
  • Mère Plutarque ! pensa Gavroche, autre nom farce. La mère Plutarque reprit, et force fut au vieillard d’accepter la conversation.
  • Le propriétaire n’est pas content.
  • Pourquoi ?
  • On lui doit trois termes.
  • Dans trois mois on lui en devra quatre.
  • Il dit qu’il vous enverra coucher dehors.
  • J’irai.
  • La fruitière veut qu’on la paye. Elle ne lâche plus ses falourdes. Avec quoi vous chaufferez-vous cet hiver ? Nous n’aurons point de bois.
  • Il y a le soleil.
  • Le boucher refuse crédit, il ne veut plus donner de viande.
  • Cela se trouve bien. Je digère mal la viande. C’est lourd.
  • Qu’est-ce qu’on aura pour dîner ?
  • Du pain.
  • Le boulanger exige un acompte, et dit que pas d’argent, pas de pain.
  • C’est bon.
  • Qu’est-ce que vous mangerez ?
  • Nous avons les pommes du pommier.
  • Mais, monsieur, on ne peut pourtant pas vivre comme ça sans argent.
  • Je n’en ai pas. La vieille s’en alla, le vieillard resta seul. Il se mit à songer. Gavroche songeait de son côté. Il faisait presque nuit. Le premier résultat de la songerie de Gavroche, ce fut qu’au lieu d’escalader la haie, il s’accroupit dessous. Les branches s’écartaient un peu au bas de la broussaille.
  • Tiens, s’écria intérieurement Gavroche, une alcôve ! et il s’y blottit. Il était presque adossé au banc du père Mabeuf. Il entendait l’octogénaire respirer. Alors, pour dîner, il tâcha de dormir. Précedente

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