ARAGON - PREVERT : LE HOULME

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publie 26 février 2006

Le malade imaginaire (MOLIERE , Jean-Baptiste POQUELIN dit...)

MOLIERE (Jean-Baptiste POQUELIN dit...)
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Molière en 1658

Argan, un bourgeois, se croit toujours malade ; sa femme lui dispense des soins attentifs, n’attendant que sa mort pour pouvoir hériter.

Il se fait faire des saignées et prend toutes sortes de remèdes, dispensés par des médecins pédants et soucieux davantage de complaire à leur patient que de la santé de celui-ci. Pour que son maître mange bien, Toinette, sa servante se déguise en médecin et lui dispense des conseils plus raisonnables.

Scène X

TOINETTE, en médecin ; ARGAN, BÉRALDE

TOINETTE. - Monsieur, je vous demande pardon de tout mon coeur.

ARGAN. - Cela est admirable !

TOINETTE. - Vous ne trouverez pas mauvais, s’il vous plaît, la curiosité que j’ai eue de voir un illustre malade comme vous êtes ; et votre réputation, qui s’étend partout, peut excuser la liberté que j’ai prise.

ARGAN. - Monsieur, je suis votre serviteur.

TOINETTE. - Je vois, Monsieur, que vous me regardez fixement. Quel âge croyez-vous bien que j’aie ?

ARGAN. - Je crois que tout au plus vous pouvez avoir vingt-six ou vingt-sept ans.

TOINETTE. - Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! j’en ai quatre-vingt-dix.

ARGAN. - Quatre-vingt-dix ?

TOINETTE. - Oui. Vous voyez un effet des secrets de mon art, de me conserver ainsi frais et vigoureux.

ARGAN. - Par ma foi ! voilà un beau jeune vieillard pour quatre-vingt-dix ans.

TOINETTE. - Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d’illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m’occuper, capables d’exercer les grands et beaux secrets que j’ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m’amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatisme et de fluxions, à ces fiévrottes, à ces vapeurs, et à ces migraines. Je veux des maladies d’importance : de bonnes fièvres continues avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies avec des inflammations de poitrine : c’est là que je me plais, c’est là que je triomphe ; et je voudrais, Monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins, désespéré, à l’agonie, pour vous montrer l’excellence de mes remèdes, et l’envie que j’aurais de vous rendre service.

ARGAN. - Je vous suis obligé, Monsieur, des bontés que vous avez pour moi.

TOINETTE. - Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l’on batte comme il faut. Ahy, je vous ferai bien aller comme vous devez. Hoy, ce pouls-là fait l’impertinent : je vois bien que vous ne me connaissez pas encore. Qui est votre médecin ?

ARGAN. - Monsieur Purgon.

TOINETTE. - Cet homme-là n’est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi dit-il que vous êtes malade ?

ARGAN. - Il dit que c’est du foie, et d’autres disent que c’est de la rate.

TOINETTE. - Ce sont tous des ignorants : c’est du poumon que vous êtes malade.

ARGAN. - Du poumon ?

TOINETTE. - Oui. Que sentez-vous ?

ARGAN. - Je sens de temps en temps des douleurs de tête.

TOINETTE. - Justement, le poumon.

ARGAN. - Il me semble parfois que j’ai un voile devant les yeux.

TOINETTE. - Le poumon.

ARGAN. - J’ai quelquefois des maux de coeur.

TOINETTE. - Le poumon.

ARGAN. - Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.

TOINETTE. - Le poumon.

ARGAN. - Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c’était des coliques.

TOINETTE. - Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez ?

ARGAN. - Oui, Monsieur.

TOINETTE. - Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin ?

ARGAN. - Oui, Monsieur.

TOINETTE. - Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas et vous êtes bien aise de dormir ?

ARGAN. - Oui, Monsieur.

TOINETTE. - Le poumon, le poumon, vous dis-je. Que vous ordonne votre médecin pour votre nourriture ?

ARGAN. - Il m’ordonne du potage.

TOINETTE. - Ignorant.

ARGAN. - De la volaille.

TOINETTE. - Ignorant.

ARGAN. - Du veau.

TOINETTE. - Ignorant.

ARGAN. - Des bouillons.

TOINETTE. - Ignorant.

ARGAN. - Des oeufs frais.

TOINETTE. - Ignorant.

ARGAN. - Et le soir de petits pruneaux pour lâcher le ventre.

TOINETTE. - Ignorant.

ARGAN. - Et surtout de boire mon vin fort trempé.

TOINETTE. - Ignorantzis, ignorants, ignorantum. Il faut boire votre vin pur ; et pour épaissir votre sang qui est trop subtil, il faut manger de bon gros boeuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande, du gruau et du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et conglutiner. Votre médecin est une bête. Je veux vous en envoyer un de ma main, et je viendrai vous voir de temps en temps, tandis que je serai en cette ville.

ARGAN. - Vous m’obligez beaucoup.

TOINETTE. - Que diantre faites-vous de ce bras-là ?

ARGAN. - Comment ?

TOINETTE. - Voilà un bras que je me ferais couper tout à l’heure, si j’étais que de vous.

ARGAN. - Et pourquoi ?

TOINETTE. - Ne voyez-vous pas qu’il tire à soi toute la nourriture, et qu’il empêche ce côté-là de profiter ?

ARGAN. - Oui ; mais j’ai besoin de mon bras.

TOINETTE. - Vous avez là aussi un oeil droit que je me ferais crever, si j’étais en votre place.

ARGAN. - Crever un oeil ?

TOINETTE. - Ne voyez-vous pas qu’il incommode l’autre, et lui dérobe sa nourriture ? Croyez-moi, faites-vous-le crever au plus tôt, vous en verrez plus clair de l’oeil gauche.

ARGAN. - Cela n’est pas pressé.

TOINETTE. - Adieu. Je suis fâché de vous quitter si tôt ; mais il faut que je me trouve à une grande consultation qui se doit faire pour un homme qui mourut hier.

ARGAN. - Pour un homme qui mourut hier ?

TOINETTE. - Oui, pour aviser, et voir ce qu’il aurait fallu lui faire pour le guérir. Jusqu’au revoir.

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documents joints

Post-scriptum

[Compléments d’informations sur MOLIERE→http://fr.wikipedia.org/wiki/Moliere]