La sueur de Taaroa
Au début était l'œuf, qui flottait dans l'immensité infinie, noire et déserte. Aussi incroyable que cela paraisse, il n'y avait au centre de l'univers que cet œuf pâle, et rien d'autre. Le temps passa, incommensurable. Puis l'œuf sembla se recroqueviller et soudain, sans raison apparente, il éclata. Oh, cela ne fit aucun bruit dans l'espace, à peine le souffle d'une vive lumière. Et Taaroa apparut, parmi les débris éparpillés de coquille. Taaroa, le Maître sacré, le Créateur de toutes choses. Il se déplia lentement, et emplit le ciel de son corps, avec mille précautions, comme étonné de se trouver là. Il contempla l'univers, autour de lui et il vit qu'il n'y avait rien.
Ni lumière, ni vent, ni montagnes, ni arbres, toutes choses qu'il avait dans l'esprit, car ses rêves étaient immenses. D'abord, avec quelques petits débris de la coquille, il créa la foule des étoiles, qu'il jeta dans le ciel comme mille étincelles. D'un autre, il fit le Soleil. Puis, pétrissant dans ses mains musclées le plus gros des débris, il en fit une boule, la Terre, qu'il déposa à ses pieds, la réchauffant de son souffle puissant. La boule s'enfla, s'enfla, jusqu'à devenir pareille à un énorme fruit de pierre et de feu.
Alors Taaroa se mit à l'œuvre. Sans relâche, pendant un temps qui parut une éternité, il éleva les plus hautes montagnes, façonna les arbres, inventa le vent qui court sur le sable des dunes, modela les hommes, les animaux, les plantes qui serpentent sous la terre; il fabriqua les volcans et leur cœur de lave, les nuages qui jouent avec le soleil, l'orage menaçant et la foudre, le bleu du ciel et la neige blême; il creusa des ravins profonds, des parois vertigineuses.
Lorsqu'il s'arrêta, hagard, éreinté, il crut avoir épuisé ses rêves. Il s'agenouilla sur le sol de pierre, pour reprendre son souffle. Et de son front luisant, de ses bras, de son ventre, coulèrent quelques gouttes de sueur. Elles roulèrent sur les pentes des montagnes, énormes, tumultueuses, et achevèrent d'un coup le fabuleux travail qu'il venait d'accomplir.
La sueur de Taaroa était devenue l'eau de la mer. La mer sans laquelle nul monde ne peut vivre. La mer où courent les bateaux, où le corail croît et rougit, où l'espadon virevolte. La mer, qui recouvrit presque entièrement la Terre, remplissant les abîmes, les gorges, les ravins. La mer, que Taaroa avait oubliée.