Granvillais chasseurs de baleines
La France avait été, au XVIIIe siècle, l'un des pays les plus actifs en matière de chasse à la baleine. Mais avec la Révolution et l'Empire, cette industrie avait décliné et presque disparu. C'est pour remédier à cette défaillance que les gouvernements de la Restauration (1815-1830), estimant que cette activité présentait un intérêt national, en particulier pour la formation de bons matelots, établirent des systèmes de primes et offrirent de nombreuses aides financières aux armateurs.
Les Granvillais se laissèrent tenter. Ce port n'avait jamais armé à la baleine, et contrairement aux Basques qui, depuis le XVIe siècle, fréquentaient les côtes de Terre-Neuve ou le golfe du Saint-Laurent, les Granvillais se cantonnaient dans la pêche à la morue. Mais ayant l'habitude des glaces du Labrador, ils ne pouvaient être dépaysés par celles du Groenland...
Ce journal de mer est l'adaptation d'un manuscrit inédit. C'est un carnet de bord, relatant au jour le jour la vie sur ce bateau. Le langage maritime du XIXe siècle a été fidèlement respecté. Ce qui suit a été écrit par le capitaine Nicolas Foubert, commandant du trois mâts "Comte d'Estourmel"
![]() Le Comte d Estourmel[Zoom...] | Aujourd'hui, le temps étant très beau et calme, je me décide à partir. Le pilote vient à bord, puis les embarcations hâlent le navire vers la sortie du port. Lorsque nous sommes hors des jetées, je fais l'appel : les 49 Français et les 6 étrangers qui forment l'équipage ont bien embarqué. A cinq heures et demie du matin, il nous vient une petite brise du nord-est. Je fais lever l'ancre et appareille sous toutes les voiles, puis je donne la route vers le cap Fréhel. Les fonds du navire sont vérifiés et la pompe ne donne pas d'eau. Je congédie alors le pilote. Au point du jour, le vent forcit, venant du sud, puis du sud-ouest. Je fais mettre le cap au travers du vent pour doubler les roches qui sont à l'ouest de Guernesey. La terre s'estompe peu à peu et la mer est grise... |
En remontant la Manche vers le pas de Calais, le navire prend ses habitudes. Je fais saisir les pirogues en cas de mauvais temps et l'équipage travaille à garnir le gréement. Malgré une brume persistante, nous voyons beaucoup de navires sous toutes amures. Un pêcheur anglais vient à bord nous offrir du poisson pour deux bouteilles d'eau de vie. J'en ai assez pour en donner au repas à tout l'équipage. Nous passons rapidement les feux de Dungeness et de Douvres. Le 25, à quinze heures, nous franchissons le détroit. Le navire est sous toutes ses voiles et la mer est droite. La coque fait un peu d'eau ; je suppose qu'elle pénètre par quelques trous oubliés par les charpentiers, ce qui ne peut donner aucune crainte puisqu'en pompant trois minutes toues les six heures on assèche les fonds. Nous apercevons des bateaux hollandais. Je suis heureux de pouvoir gagner si rapidement le nord, avec un vent et une mer favorable. Heureux auspices... | ![]() Tous sur le pont[Zoom...] |
![]() Cadeaux_baleine3[Zoom...] | Pendant plusieurs jours, le temps s'établit à l'ouest. Je fais porter de la voile, afin de m'élever vers le nord de manière à gagner promptement l'entrée de la mer Baltique, car on doit s'attendre, dans la saison où nous sommes, à avoir du mauvais temps. Avec les renforts qu'on a mis au navire pour le préserver des glaces, il dérive considérablement lorsqu'il est au plus près du vent. Je dois me dégager rapidement des côtes de la Hollande et de l'Allemagne. Le temps devient grisâtre, la mer houleuse. Le vent est bon, frais... Nous commençons à recevoir des grains violents. Le 1er avril, la côte de Norvège est en vue. Avec une brise de nord-nord-est, je fais porter toute la voile possible et gouverner à l'ouest pour m'écarter de la terre... |