L'effroyable Cyclope
Arrivée sur l'île du cyclope
Sitôt débarqués, les marins tuent quelques chèvres sauvages qu'ils font cuire à la broche. Puis chacun s'étend sur la plage. Ulysse a du mal à s'endormir. : au sommet de l'île, il a vu gesticuler une silhouette gigantesque, plus haute qu'une montagne... Quand l'aurore paraît, il ne peut résister à sa curiosité : « Restez près des navires ! dit-il. Moi, je pars, avec les douze plus braves d'entre vous, escalader ces rochers, là-bas.
« Je veux savoir si les habitants de cette île sont des hommes comme nous, ou des sauvages sans foi ni loi qui méprisent les dieux. »
Emportant une outre de vin fort, la petite troupe grimpe jusqu'à une immense caverne perchée tout en hauteur. Ulysse y entre le premier puis ressort.
« Venez voir tous ces fromages, ces jarres de lait et ces agnelets ! C'est sans doute un berger qui habite ici. »
Ses compagnons le suivent et, dans la grotte, les hommes commencent à goûter les fromages... Ulysse s'apprête à porter un morceau à sa bouche quand soudain, un pas terrible ébranle le sol.
A l'entrée de la caverne surgit un géant plus haut qu'une montagne. Son visage est affreux, sa bouche énorme, et il n'a qu'un oei1 au milieu du front qui étincelle sous son sourcil hirsute. C'est le Cyclope Polyphème ! Terrorisés, les hommes se réfugient tout au fond de la caverne. Le Cyclope pousse son troupeau de moutons à l'intérieur puis bascule un énorme rocher pour refermer l'entrée.
Prisonniers du Cyclope
« Malheur ! Nous voilà prisonniers ! » songe Ulysse terrifié.
Le Cyclope trait ses brebis. Soudain, il aperçoit les petits hommes tapis dans un recoin.
« Rhhaa... ! rugit-il, en les fixant de son œil terrifiant. Qui êtes-vous ? »
Sa voix tonitruante glace les hommes de peur.
« Nous sommes des Grecs qui revenons de Troie, répond Ulysse, mais les dieux nous ont égarés. Je t'en supplie, ne nous fais pas de mal. Au nom de Zeus, accueille-nous selon les lois de l'hospitalité ! »
Le Cyclope éclate d'un rire cruel :
« Pauvre sot! Les Cyclopes se moquent bien des dieux. Ce n'est pas la peur de Zeus qui m'empêchera de vous tuer si j'en ai envie! » À ces mots, le Cyclope tend la main et empoigne deux hommes d'un coup. Crac! Il leur fracasse le crâne sur le sol et les dévore. La dessus, il engloutit un plein seau de lait et, rassasié, il s'écroule et s'endort.
Ulysse sort son épée. Au moment de frapper, une pensée le retient :
« Si je le tue maintenant, nous serons pris au piège. Vingt chevaux ne suffiraient pas pour déplacer ce rocher qui bouche la caverne... »
Le lendemain matin, pour son petit déjeuner, le Cyclope avale deux autres Grecs, puis il sort avec ses moutons. Hélas, il remet si vite le rocher en place qu'Ulysse et ses compagnons n'ont pas le temps de se glisser dehors. Les prisonniers sont fous de désespoir. Ulysse, lui, médite une ruse... Après avoir déniché un énorme pieu, il taille bien sa pointe puis le le cache sous le fumier.
Le soir venu, alors que le monstrueux Cyclope vient de dévorer deux autres hommes, Ulysse s'approche et lui offre une coupe du vin fort qu'il a emporté :
« Tiens, Cyclope, goûte ce vin délicieux que j'avais apporté en cadeau. »
Polyphème trouve le nectar si bon qu'il en redemande :
« J'aime ce breuvage, petit bonhomme ! Dis-moi ton nom que je te fasse à mon tour un cadeau. »
« Je m'appelle Personne », répond Ulysse le rusé en lui versant du vin.
« Curieux nom, dit le Cyclope. Allez, donne-moi encore à boire... »
Après plusieurs rasades, le cyclope, ivre, déclare :
« Pour te... te... remercier de ce breuvage, hic ! Je... je... mange... rai Pe... Pe... Personne... en... dernier.. Voilà, hic ! le ca... ca... cadeau que je te fais ! »
Puis il tombe à la renverse et s'endort en rotant.

L'évasion
« Allons-y ! » lance Ulysse. Rassemblant leur courage, deux de ses compagnons saisissent avec lui l'énorme pieu. Ils font chauffer sa pointe dans la braise, puis escaladant le gigantesque dormeur, ils enfoncent le pieu brûlant dans l'œil unique du Cyclope. Polyphème se redresse d'un bond, rugissant de douleur. Alertés par ses cris, les autres Cyclopes de l'île accourent :
« Que t'arrive-t-il, Polyphème ? Qui t'a fait du mal ? » demandent-ils.
« Personne, hurle Polyphème du fond de sa caverne. C'est Personne. »
« Si personne ne te fait de mal cesse de nous réveiller pour rien ! » grommellent les Cyclopes en s'éloignant.
Torturé de douleur, désormais aveugle, le géant se déplace à tâtons pour enlever le rocher qui bouchait la sortie. Puis il s'assied devant la porte les bras tendus pour attraper au passage les Grecs qui tenteraient de fuir. Comment s'échapper ? se demande Ulysse qui imagine une nouvelle ruse. Il attache les moutons trois par trois et chacun de ses hommes sous celui du milieu. Lui-même s'agrippe sous le ventre du plus gros des béliers, à la toison épaisse. À mesure que les moutons franchissent la porte, Polyphème palpe soigneusement leur dos pour éviter que ces maudits hommes ne s'échappent avec eux, mais le Cyclope ne devine pas qu'ils sont cachés sous leur ventre.
Ouf ! Sauvés ! Les Grecs dévalent la montagne pour regagner leur navire. À peine éloigné du rivage, Ulysse ne résiste pas à l'envie de crier sa victoire : « Si tu veux savoir qui t'a rendu aveugle, Cyclope, sache que c'est Ulysse, roi d'Ithaque et vainqueur de Troie ! » Fou furieux, le géant empoigne un énorme rocher et le jette en direction d'Ulysse. Heureusement, le projectile tombe à côté du navire et ne provoque que de violents remous. Alors, le Cyclope s'adresse à son père qui n'est autre que Poséidon, le puissant dieu de la mer :
« Père, venge-moi d'Ulysse ! » Poséidon, qui entend sa prière, va employer tous les moyens pour empêcher Ulysse de rentrer à Ithaque.